Frank LESTARD

« Résister à la disparition », par Bernard Muntaner

Franck Lestard (1) expose au Passage de l’Art de grandes feuilles de papier blanc épinglées au mur sur lesquelles des figures animales imposent leur autorité. Cette présence qui nous fait face est d’autant plus forte que les animaux représentés sont hors d’échelle, qu’ils sont dessinés le plus grand possible dans l’espace immaculé de la feuille, et qu’ils se parent exclusivement d’une variation de valeurs de gris allant des noirs profonds aux légers lavis transparents, évitant toute contamination visuelle avec les signifiés de la couleur.

On notera la grande maitrise technique de l’encre de chine que l’artiste utilise sans la faire précéder d’un contour, ce qui permet à la forme de ne pas être enfermée dans ce qui la résumerait, en lui offrant des passages dans le blanc de la feuille. Les coulures d’encre, que laisse échapper le trop plein du pinceau à jus, viennent matérialiser le plan de la surface comme pour insister sur sa partition plastique dans l’œuvre. Il n’y a pas de narration. C’est le format, le blanc de la feuille, le noir et ses variations subtiles qui révèlent « l’animal sujet ». La représentation unicitaire de l’animal oppose un face à face avec soi. Le corbeau, la hyène, le chien montrant ses crocs, ne sont pas des bêtes aimables dans l’inconscient collectif. Même si le chien est souvent présenté comme l’ami de l’homme, un animal de compagnie fidèle, il est aussi un chien de garde, voire de combat et peut devenir dangereux sans raison. Dans la mythologie égyptienne il est celui qui accompagne les morts. Et de Mort il est question aussi : un crâne d’oiseau et de gorille accompagnent l’exposition comme autant de vanités. Seraient-ce alors des natures mortes ?

« Je peins des natures mortes en devenir » dit l’artiste, « elles contiennent en elles cette fin qu’on devine proche» (2). Les corbeaux, plusieurs fois représentés, peuvent alors connoter ceux que Van Gogh a peints dans son tableau « Champ de blé aux corbeaux » au sinistre présage. L’idée de la mort est présente dans chacune des réalisations. Mais plus qu’une simple citation en écho, c’est le délitement de la forme et, par là, la disparition en train de se faire de l’image — elle qui croit depuis des millénaires faire perdurer éternellement ce qui est voué à disparaître —, qui devient le sujet. Les coulures alors rejoignent cette idée de soustraction, de possible disparition d’un objet qui se liquéfie mettant en miroir notre propre instabilité de Vivants.

Franck Lestard a quitté la peinture et ses empâtements matiéristes qu’il pratiquait précédemment, pour s’acheminer vers plus d’immatérialité que lui offrent le lavis et l’aquarelle, une approche vers le silence, la lumière, une étendue létale programmée. La mort comme questionnement et son corolaire, la disparition… Et l’Art comme viatique qui veut résister vainement à cette disparition.

Bernard Muntaner, in Journal Sous Officiel des Arts, mai 2014

(1) Exposition dans le cadre de la manifestation annuelle « l’Art Renouvelle le Lycée, le Collège, la Ville et l’Université » avec comme thème fédérateur « Présence Animale ». Cette manifestation s’inscrit dans le parcours du « Printemps de l’Art Contemporain ». Passage de l’Art, 1 rue du Rampart 13007 Marseille. Tél : 04 91 31 04 08

(2). Entretien avec Jean-Pierre Mourey, in « Sixième sens » 2012.

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